Agar, une figure du féminin en Islam


Le blanc du désert. Une femme à l'origine

"Qui est cette femme qui court, haletante, pour sauver son enfant dans le désert d'Arabie ? Agar. Agar l'expulsée car la première accouchée.
Le rideau se lève sur la vieillesse d'Abraham, l'infécondité de Sara et une promesse : "Tu deviendras père d'une multitude de nations" (Genèse 16, 5). Agar ne fera son apparition que plus tard afin de pallier cette infécondité de l'épouse. Son corps d'esclave sera offert à Abraham. Mais on lui interdira de jouir aussi bien de sa féminité que de sa maternité. Pour le plaisir éprouvé, pour la fécondité assurée, Sara exige un châtiment et Abraham de lui dire : "Voici ton esclave entre tes mains ; fais-lui ce que bon te semblera." Alors Sara l'humilia et Agar s'enfuit loin d'elle (Genèse 16, 6). Et ce n'est pas le code mésopotamien qui la rappelle à sa condition d'esclave mais l'Ange qui lui enjoint de rebrousser chemin. Elle retournera auprès de sa maîtresse qui la chassera définitivement : "Chasse cette servante et son fils, dit Sara, car le fils de cette servante ne doit pas hériter avec mon fils" (Genèse 21, 10).
Le texte fondateur, dont le pivot est la dimension symbolique (à travers la question de la filiation et de la nomination) opère, ici, une rupture et un clivage : le fils n'est plus "le secret de son père" (Ibn Arabî), il est d'abord celui de la servante : "C'est par Isaac que tu auras une descendance de ton nom. Quant au fils de la servante, de lui aussi je ferais une grande nation, car il est ta descendance" (Genèse 21, 12-13). Désormais, filiation et nomination sont séparées. La transmission du nom échoira au seul Isaac. Etrange partage pour une même descendance ! "Abraham se leva de grand matin, prit le pain et une outre d'eau et les donna à Agar, puis il mit l'enfant sur son épaule et la renvoya " (Genèse 21, 14). Le chapitre qui introduit au renvoi d'Agar s'intitule : "Ismaël est chassé." La mère sera bannie de l'opération même de son bannissement. Rien ne sera dit sur sa vie ou peu de choses. Agar s'évanouit entre les dunes du désert. Le sable effacera ses traces de femme. Elle n'a vécu que pour enfanter.
Agar. Hagar, dit Osty. Le nom a des attaches avec celui des Hagrites, tribus arabes nomades. Son nom, Hâjar, a pour racine h.j.r. La racine étymologique signifie l'exil.
Celle qui se trouve chassée dans le texte biblique sera littéralement bannie du texte coranique. N'y figurent ni son nom ni son histoire. Seule allusion, ce verset : "Notre Seigneur, j'ai établi une partie de mes descendants dans une vallée stérile" (Coran 14 : 37). La femme sera, ainsi, doublement Hâjar. Le corps étreint est oublié. Il n'a servi qu'à enfanter. Rien ne sera dit sur son attente de femme, sur l'ouverture rapidement condamnée à être fermée ou sur le narcissisme bafoué. Elle s'évanouira entre les dunes de l'Arabie. Hors texte, quelques bribes par-ci par-là. A peine apparue, elle s'évanouit. Aussitôt présente, elle s'efface comme l'instant. Fragilité d'une trace. On raconte qu'elle laissa traîner les pans de sa robe afin d'effacer toute empreinte. Aussi vainement cherchions-nous à la croiser. Nous entendons la parole de Sara, jamais celle d'Agar."
Houria Abdelouahed, Figures du féminin en Islam, 2012, p. 60-62

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