"I am not your negro", une inquiétante étrangeté
Raoul Peck s'empare du récit laissé inachevé de James Baldwin après les meurtres de Medgar Evers, Martin Luther King Jr. et Malcolm X.
Retraçant l'histoire des noirs aux Etats-Unis à partir de la voix de Samuel L. Jackson lisant la trentaine de pages écrites par Baldwin, mais aussi de scènes cinématographiques et d'actualité, c'est l'histoire du pays qui est ainsi brossé à travers l'esclavage, la guerre de sécession, la ségrégation et les combats pour les droits civiques.
Accrochés à cette voix les spectateurs se trouvent saisis par les images violentes de blancs tabassant des noirs, de noirs pendus, de policiers tirant sur les manifestants noirs. Elles sont pour beaucoup connues, mais la mise en exergue par le texte vient leur donner une nouvelle actualité car, comme l'écrit Marie-José Mondzain, elles sont alors habitées par la parole.
« Il y a des visibilités qui
personnifient un discours, c'est toujours le discours du maître. Dès lors, le
visible endoctrine et incorpore le spectateur à la visibilité d'un corps personnifiant,
qui n'est autre que le corps du discours qui le sous-tend. Le discours du
maître soumet le regard au visible et l'engloutit dans l'assentiment. Tout
autres sont les visibilités dont la forme ne personnifie rien et qui sont
habitées par la parole […]. Dans ce cas le visible met le spectateur dans une
place où l'image reste à construire. » Marie-José Mondzain, L'image
peut-elle tuer ?
Vu de France, ce documentaire produit l'effet d'une inquiétante étrangeté dans la mesure où notre histoire est différente mais que les paroles de Malcolm X, Martin Luther King et James Baldwin viennent résonner avec les morts de William Décoiré, Pierre Cayet, Adama Traoré, Mahamadou Maréga, Bertrand Nzohabonayo, Lamine Dieng, Bouna Traoré et bien d'autres ces dernières années. Une raison de plus d'attendre avec impatience la sortie cet automne du film d'Amandine Gay Ouvrir la voix.
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