"Tête de tambour", un roman de Sol Elias : hériter de la schizophrénie ?
Sa tête va exploser.
Personne dans sa famille ne comprend, rien à attendre de son père,
de sa mère, de sa sœur.
Sol Elias, Tête de tambour |
« Un voile rouge
s'était mis devant mes yeux, et il y avait mes oreilles. J'avais
l'impression qu'un bourdon y avait fait son nid. Je devais crier pour
couvrir le bruit.Ce que je redoutais venait d'arriver. Les chiffres
avaient disparu. J'étais envahi par l'angoisse et la colère en même
temps, un mélange qui me sortait le cœur de la poitrine et le
faisait monter dans la gorge. »
Manuel délire, angoisse,
hallucine. Manuel décompense, se perd dans ses identités. Il écrit.
Beaucoup. D'une écriture minuscule, sur n'importe quoi, en rouge, en
noir. Il insiste et recouvre son écriture de nouveaux mots. Ses
petits papiers constituent son héritage à destination de sa nièce
Soledad. Des sacs de petits papiers dans lesquels elle se plonge.
Mais comment ne pas s'y perdre ? Comment accepter cet héritage
et ne pas s'identifier à ce discours qui en a fait sombrer plus d'un
dans sa famille.
« Depuis
des générations, cachés sous le nom de « nerveux »,
« colériques », « idiots »,
« mélancoliques », « imaginatifs », tous les
aînés dans la lignée maternelle de Soledad ont la cervelle touchée
par la folie. Comme s'il fallait, pour maintenir la cohésion de la
famille, qu'à chaque relais de transmission l'un de ses membres soit le fusible qui saute pour permettre à toute la
maison de ne pas disjoncter... Même si c'est le système électrique
qui est complètement vicié et qu'il faudrait le refaire à neuf, au
lieu de se contenter de changer les fusibles. Le fou serait-il la
condition de survie de l'espèce ? Le bouc émissaire sur lequel
la communauté réunie colle tous ses péchés et qu'elle sacrifie au
nom de sa survivance ? Le prétexte à la folie officieuse de
tous les autres ? »
Les petits papiers de Manuel |
Alors
Soledad écrit. Jusque là elle a tout réussi. Son mariage, son
métier. Il y a même un enfant qui va bientôt arriver. Mais les
sacs de son oncle, que sa mère lui envoie car elle n'arrive pas à
les jeter, viennent ouvrir un gouffre et instiller le doute. Sol Elias a choisi d'écrire son premier roman à plusieurs voix pour
rendre compte de la déflagration que constitue la schizophrénie.
« Il
se frotta les yeux, il avait mal dans le blanc. Il ressentait le
besoin de passer sa tête et ses mains sous l'eau, plusieurs fois.
Pour laver la tache. Il essaya de se lever mais son dos était comme
cousu aux coussins. Le plafond blanc cassé, jauni à certains
endroits par la fumée de cigarette, lui faisait un ciel de
convalescence sous lequel s'abriter. Il pouvait rester ainsi couché,
épuisé, l'oeil collé tout en haut, plusieurs heures. »
Sol Elias tente ainsi dans son livre de se confronter à l'héritage de son oncle. C'est aussi une tentative de sa part de le faire exister tout en contenant la psychose. Tâche ardue que de l'incorporer tout en la mettant à distance.
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