Lacan : de l'articulation entre le non-rapport sexuel et la jouissance sexuelle

"La vérité en question dans la psychanalyse, c'est ce qui, au moyen du langage, j'entends par la fonction de la parole, approche un réel.
Seulement, c'est un abord qui n'est nullement de connaissance, mais, dirais-je, de quelque chose comme l'induction, au sens que ce terme a dans la constitution d'un champ. Il s'agit de l'induction de quelque chose qui est tout à fait réel, encore que nous n'en puissions parler que comme de signifiants, je veux dire qui n'ont pas d'autre existence que celle de signifiants.
De quoi est-ce que je parle ? Eh bien, de rien d'autre que ce que l'on appelle en langage courant des hommes et des femmes. Nous ne savons rien de réel sur ces hommes et ces femmes comme tels.
Il ne s'agit pas de chiens et de chiennes. Il s'agit de ce que c'est réellement que ceux qui appartiennent à chacun des sexes à partir de l'être parlant. Il n'y a pas là une ombre de psychologie. Des hommes et des femmes, c'est réel. Mais nous ne sommes pas capables d'articuler dans lalangue la moindre chose qui ait le moindre rapport avec ce réel. La psychanalyse ne fait que le ressasser.
C'est ça que j'énonce quand je dis qu'il n'y a pas de rapport sexuel pour les êtres qui parlent. Pourquoi ? Parce que leur parole, telle qu'elle fonctionne, dépend, est conditionnée comme parole par ceci, que ce rapport sexuel, il lui est très précisément, comme parole, interdit d'y fonctionner d'aucune façon qui permette d'en rendre compte.
Je ne suis pas en train de donner à rien, dans cette corrélation, la primauté. Je ne dis pas que la parole existe parce qu'il n'y a pas de rapport sexuel, ce serait tout à fait absurde. Je ne dis pas non plus qu'il n'y a pas de rapport sexuel parce que la parole est là. Mais il n'y a certainement pas de rapport sexuel parce que la parole fonctionne à un niveau dont le discours psychanalytique a découvert la prééminence, spécifiant l'être parlant, dans tout ce qui est de l'ordre du sexe, à savoir le semblant. Semblants de bonshommes et de bonnes femmes, comme ça se disait après la dernière guerre. On ne les appelait pas autrement, les bonnes femmes. Ce n'est pas tout à fait comme ça que j'en parlerai, parce que je ne suis pas existentialiste.
Quoi qu'il en soit, le fait est que l'étant que nous évoquions tout à l'heure parle, et que ce n'est que de  la parole que procède la jouissance, celle que l'on appelle sexuelle, qui est à distinguer du rapport sexuel. Elle seule détermine chez l'étant dont je parle ce qu'il s'agit d'obtenir, à savoir l'accouplement. La psychanalyse nous confronte à ceci, que tout dépend de ce point-pivot qui s'appelle la jouissance sexuelle."
"De l'incompréhension et autres thèmes", 2 décembre 1971.
Jacques Lacan, Je parle aux murs, 2011, p. 60-62.

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